Le « Retour d’expérience technique de la crue du 2 octobre 2020 dans la vallée de la Roya », tant attendu, vient de nous parvenir sous forme d’un document daté de février 2022.

Prévue par le plan ORSEC, la rédaction de ce document d’analyse des causes et conséquences de la crue a été confiée au service Restauration des Terrains de Montagne (RTM) à la demande de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer ainsi que du Ministère de la Transition Ecologique.
Le dossier constitué d’un document principal et de 25 annexes a été transmis à France Nature Environnement PACA (FNE) en mai 2022. Soit un an et demi après la crue. Entre temps des actions ont été entreprises sur la base de cette étude sans que les associations et le public y aient accès ( et ce n’est pas faute d’avoir réclamé des informations à la préfecture ).

Il est disponible sous le lien indiqué par l’ONF à FNE
Il est aussi en ligne sur un serveur de REN ici

Les 276 pages d’explications et de recommandations qui constituent ce document, sous-titré « Volet torrentiel » sont très instructives. On y apprend quels sont les phénomènes météorologiques à l’origine de la tempête, quels ont été les volumes d’eau, de sédiments et de bois flottants mobilisés, quelles ont été les zones d’intensité plus forte et plus faible de la crue, comment ont été faits les calculs permettant d’établir les largeurs de lit minimales pour éviter de nouvelles atteintes au bâti et de classifier l’existant, quelles sont les actions d’urgences prises et quels conseils ont été donnés pour les futurs aménagements.

La lecture des documents amène plusieurs remarques:

1 – L’origine des cartes d’aléas

En mai 2021, la préfecture a mis en ligne un « Porter à connaissance » constitué de Cartes d’aléas, et d’un document de Recommandations par commune. Consultable en ligne sur le site de la DDTM pour chaque commune, ainsi qu’un lien cartographique.

Ces documents d’urbanisme conditionnent toute le chaîne des schémas d’aménagement ( SCot, PLU,..). On se doutait bien que les délimitations des zones rouge, orange et jaunes venaient des études menées après le crues, mais l’accès à ces études était refusé au motif qu’elles n’étaient pas terminées. En fait, ce n’était qu’un prétexte pour tenir les associations à l’écart: les études étaient assez abouties pour en extraire un document officiel.


Le principe utilisé pour définir les zones d’aléas est celui des intensités de crue:

« La hiérarchisation des phénomènes torrentiels est basée sur trois classes d’intensité : forte, moyenne et faible. Chacune de ces classes est définie à partir des principaux critères suivants : les paramètres hydrauliques (niveau d’écoulement, niveau d’engravement, niveau d’affouillement, taille des blocs), l’impact des flottants et les effets sur les enjeux (infrastructures, ouvrages, bâtiments, espaces agricoles). » (P51)

La zone rouge des cartes d’aléas correspond exactement à l’enveloppe des intensités « forte » et « moyenne » identifiées dans le RETEX.
Illustration sur une Tende : la surface de la zone rouge et jaune (intensité forte et moyenne) de la page 14 de l’annexe 7 du RETEX correspond à la zone rouge de la carte d’aléas du PAC.

La pertinence des analyses ayant conduit à ces résultats n’est pas remise en cause, mais il nous paraît indispensable de conforter cette cartographie par une analyse hydromorphologique dans la traversés des villes.

2 – Sur les actions d’urgence

Quelques semaines après la crue, on a vu s’activer des pelleteuses dans le lit des cours d’eau.
C’était piloté par le SMIAGE sous couvert d’un arrêté préfectoral d’intérêt général s’appuyant sur un article du code de l’environnement qui permet de retirer des embâcles dans l’urgence sans passer par la procédure de déclaration au titre de la loi sur l’eau; donc sans possibilité de recours.
On comprend pour les embâcles, mais la « chenalisation » de la Roya dans la traversée des villes était-elle utile ? Etait-elle souhaitable ?

Source REN 2020

La réponse serait plutôt négative si on lit attentivement le paragraphe 7 :

* paragraphe 7.1 DETERMINATION DES EVOLUTIONS PREVISIBLES DES COURS D’EAU TORRENTIELS A COURT OU MOYEN TERMES

« Outre le caractère incertain du régime hydroclimatique futur, un autre facteur susceptible d’avoir une grande influence sur la trajectoire morphologique de cette rivière, ce sont les aménagements et travaux post-crue, dont l’ampleur est déjà très importante et qui auront nécessairement un impact sur la morphodynamique et le transport solide. Compte tenu de l’ampleur des moyens déployés pour la reconstruction de la vallée, ce facteur peut devenir prépondérant devant la dynamique naturelle tant que les crues restent de magnitudes limitées. En cas de crue forte (il est difficile de prédire à partir de quelle valeur), les dynamiques décrites plus haut redeviendront probablement prépondérantes et l’effet de nombreux travaux pourrait être balayé en quelques heures. » (P228)

* paragraphe 7.2.5 Recommandations complémentaires pour la conception et le dimensionnement des protections de berges
« Les travaux réalisés depuis la crue ont très fortement remanié les lits des cours d’eau. Le prélèvement massif des matériaux les plus grossiers (blocs), mais également les matériaux de calibre moyen (galets pour remplir les gabions) sont susceptibles de provoquer une incision plus marquée des lits. Il est en effet probable que les prélèvements massifs réalisés dans le cadre des travaux post-crue aient des conséquences sur le niveau final du lit, même s’il est toujours difficile de prédire de telles évolutions fortement dépendantes de la dynamique des prochaines crues et de la fraction grossière contenue dans les couches sous le niveau de l’ancien lit. Dans l’idéal, il aurait fallu trier les matériaux, mais pour faire l’inverse pour conserver la fraction la plus grossière sur place pour paver le fond du lit.

En réincisant les dépôts, le lit reconstitue progressivement et naturellement un pavage, mais si tous les matériaux grossiers ont été enlevés du lit et à proximité, il faut attendre qu’il rencontre des nouveaux blocs en nombre suffisant en fond ou sur les berges. Le temps de reconstitution d’un pavage naturel sera sans doute plus long du fait du prélèvement des matériaux grossiers et le lit continuera à s’inciser tant qu’il ne sera pas reconstitué.

Le niveau final pourrait ainsi descendre plus bas que le niveau du lit avant la crue. La présence de gros blocs sous l’ancien lit pourrait réduire cet approfondissement. A défaut, une diminution significative de la pente n’est pas à exclure ce qui peut générer des approfondissements conséquents. Une surveillance de l’évolution du fond du lit doit être mise en place pour anticiper toute insuffisance des dispositifs parafouilles. Pour se prémunir contre cet enfoncement probable, il convient donc de descendre profondément les fondations des ouvrages et/ou de mettre des sabots parafouilles de grandes dimensions (volume important pour supporter et compenser l’enfoncement du lit).

Dans un cas un peu similaire, les travaux engagés sur le Bastan à Barèges suite à la crue de Pyrénées en juin 2013 ont provoqué un enfoncement du lit en haut du village, passant d’une pente de 8-9 % à 5 % en moins d’un an (le Bastan ayant connu quelques crues importantes après celle du juin 2013) suite au prélèvement des gros blocs dans le lit du Bastan pour créer les protections latérales de berges (ce qui a nécessité la mise en place de trois seuils pour arrêter le phénomène d’incision du lit). » (P252)

Les recommandations contenues dans ce RETEX, qui sont celles du service RTM, et celles présentées lors d’une réunion en préfecture en juin 2021, par les mêmes auteurs, vont dans le même sens : toucher le moins possible aux lits et aux berges telles qu’elles se sont formées.

Ces textes justifient nos inquiétudes quand au traitement futurs des berges dans la traversée des villes. Ils sont prévus, nous a-t-on dit à la CARF, pour l’a fin de l’année 2022. Les dossiers ne sont toujours pas consultables ! La seule information vient d’une présentation de la CARF lors d’un atelier du CEREMA le 16 novembre 2021, auquel REN a assisté.

Atelier Cerema – Novembre 2021

A quoi correspondent les digues, où seront les ouvrages parafouille, quelle hauteur ?

3 – Sur les préconisations de consolidation des berges

Une série d’annexes, numéros 19, 20, 21 et 22 , correspondent aux « Ateliers d’aide à la décision GEMAPI » datés de février à avril 2021. Ces documents ont été présentés lors de réunion organisées pour les municipalités. Là aussi, leur communication au public a été refusée. L’annexe 19 indique :


« Il appartient en effet au(x) maître(s) d’ouvrage de réaliser ou de commander avant d’engager les travaux toutes les études nécessaires (topographiques, hydrauliques, géotechniques, structures, mission de MOE …) à la définition précise des ouvrages et travaux à réaliser. Il reste beaucoup de choix à faire et à justifier sur les secteurs à protéger, les types de protections à mettre en œuvre et définir toutes les caractéristiques dimensionnelles et les modes opératoires de ces ouvrages. » (P229)

Pourtant, là encore, nous n’avons pas eu connaissance d’études supplémentaires, ni hydrauliques, ni morphologiques. Tout se passe dans les bureaux l’ingénierie du SMIAGE. Digues, enrochements bétonné, berges naturelles ? Il semble que les propriétaires riverains sont consultés depuis quelques mois sur des plans auxquels il n’est pas possible d’apporter des modifications. Mais la CARF et la DDTM continuent de refuser l’information au public et jouent la montre pour imposer le fait accompli.

On rappellera ici ce que la Commission d’Accès aux Documents Administratifs a indiqué : selon les articles L124-1 et L124-3 du code de l’environnement, le droit de toute personne d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues, reçues ou établies par l’administration s’exerce dans les conditions définies par le titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve des dispositions du chapitre IV du titre II du livre I du code de l’environnement. A cet égard, les articles L124-4 et L124-5 de ce code énumèrent limitativement les hypothèses dans lesquelles l’autorité administrative peut rejeter une demande tendant à la communication d’informations relatives à l’environnement, au nombre desquelles ne figure pas le caractère préparatoire du document ou des informations.